On était pressée de vous parler de « Mères sans filtre », publié par Solar editions il y a peu. Il faut dire que l’adage s’y prêtait trop bien que pour ne pas faire le parallèle avec les 8 récits intimes livrés par Camille Abbey (qui vous propose même un extrait audio lu par ses soins ici sur Instagram), Anne-Sophie Brasme, Renée Greusard, Élodie Font, Julia Kerninon, Gabrielle Richard, Claire Tran et Illana Weizman.
La grande aventure d’être soi
Dès le sommaire, on découvre une table des matières pas comme les autres. En plus des titres des chapitres et des numéros des pages traditionnels, on nous dévoile le visage de chaque maman dont la plume s’est déliée sans aucun filtre. Ensuite, avant de découvrir les différents témoignages, une petite intro nous rappelle toute l’importance justement d’aborder les sujets qui le sont ici dans cet ouvrage.
Bien qu’il soit question d’une expérience universelle, on ne retrouve en effet que peu d’occurrences de tout ce qui touche à la grossesse, l’accouchement ou la maternité en philosophie ou en littérature. « Peut-être en raison de leur caractère féminin ? », interroge le livre. « Mères sans filtre » s’aventure ainsi sur « un formidable terrain d’exploration littéraire », trop souvent laissé en jachère.
Bienvenue dans la demeure du possible
Le premier témoignage à découvrir est celui de Julia Kerninon. Elle y explique à quel point la maternité lui a permis de tourner la page sur la « bonne fille » qu’elle était jadis pour écrire elle-même sa propre histoire. « Jusque là », écrit-elle, « j’avais toujours écrit presque discrètement, le soir, la nuit, quand tout le reste avait été satisfait et que personne n’avait besoin de moi. Soudain, les forces se sont renversées. »
Tout à coup, il est devenu évident pour Julia que « c’était un peu comme quand on veut dégager de l’espace dans la galerie de son téléphone et qu’il est rapidement clair qu’on ne s’en tirera pas en effaçant juste quelques photos ». Pour pouvoir écrire des histoires, il allait falloir la revendiquer cette possibilité de temps pour soi. Impossible de devoir choisir. « Bonne mère » ou « bon écrivain », rien ne pouvait s’effacer du tableau.
Loin du fantasme imposé
Dans « La mère normale », le second chapitre, c’est au tour d’Élodie Font de se confier au sujet de sa prééclampsie. Elle y explique avoir été « réveillée toutes les deux heures, peut-être toutes les heures, par d’autres bébés », son enfant ayant été placé en soins intensifs suite à l’accouchement. Un récit criant de vérité dans lequel de nombreuses mamans n’ayant pas vécu « l’accouchement parfait » se retrouveront sans peine (façon de parler).
Dans « Bouche cousue », Illana Weizman compare même les mamans à « des gladiatrices jetées en pâture par une société qui ne fait que peu de cas de leur santé physique et mentale ». Peu de cas ou… peu d’occurrences, du moins de « ce qui n’est pas lisse, ce qui ne correspond pas au fantasme imposé ». Le ton de son récit est quelque peu plus agacé, je pense, mais le contenu trouve écho également dans le témoignage de Claire Tran.
Exit les stéréotypes
C’est une anecdote tout particulièrement qui a retenu mon attention dans le témoignage de Claire Tran. Alors qu’elle est sur le point d’acheter des bottes d’hiver à son fils, Claire explique que la première chose que lui demande le vendeur n’est non pas la pointure, mais si les bottes sont pour une fille ou pour un garçon. Son constat ? « De la mode aux jouets en passant par la littérature, tout ce qui est proposé aux enfants est truffé de stéréotypes. »
C’est pourquoi Claire a mis en place une stratégie, précisément la même dont on vous parlait déjà dans notre article au sujet du livre phénomène Chasseur, cueilleur, parent. Les histoires du soir ! Claire explique toutefois modifier quelque peu le texte de ces histoires quand les personnages sont trop stéréotypés : « une petite fille qui est décrite comme très jolie deviendra jolie et maligne ». Voilà tout !
Un choc de liberté
Difficile de faire une sélection condensée des témoignages de toutes ces mamans. J’ai adoré certaines citations comme celle de Renée Greusard : « un enfant, quand il arrive, crée un choc de liberté. » Bon, je ne suis pas sûre que tout le monde puisse s’offrir « une semaine seule à Florence » pour le coup (dommage), mais l’idée de s’accorder un répit même temporaire est vraiment belle.
« Peut-être même juste pour s’asseoir sur un banc, en terrasse de café, dans un canapé et ne rien faire », nous dit-on. Cela paraît si anodin, et pourtant. Fort est à parier que de nombreuses mamans, travaillant en free-lance ou non, sont incapables de dire la dernière fois que ça leur est arrivé. Ce qui transparaît le plus de ces témoignages, c’est ça au fond : les images de la maternité avec lesquelles nous avons grandi ont toutes un « côté sacrificiel ».
Fatiguée… libérée… engagée !
C’est ce que relate aussi Camille Abbey quand elle raconte, enfant, que « parfois, quand les plats s’entrechoquaient avec fracas et quand l’eau qui coulait dans l’évier faisait trop de bruit », elle hurlait à sa mère en train de faire la vaisselle « de faire moins de boucan, on n’entendait plus la télé… ».
Et d’avouer : « il m’a fallu avoir des enfants pour sortir du brouillard de l’innocence et entrer dans celui des mères exténuées. »
Son récit, elle dit l’avoir rédigé sur « son téléphone dans le métro, sur un coin de table, dans sa tête en essayant de se rendormir la nuit (…) alors qu’auparavant, avant l’existence de ses enfants, elle ne se serait autorisée à écrire que vissée sur sa chaise, attablée à un bureau ». Moi-même, j’ai écrit cet article sur un coin de la table à manger, entre un Mosaïco maxi et un jeu Djeco P’tit Market. Alors nul besoin de « chambre à soi » aujourd’hui, les temps changent.